Ritual for a metamorphosis

Publication Date: 1994
Publisher: Dar al adab
Country of Publication: Lebanon, Beirut
Pages: 151
Touqous al-isharat wa al-tahawoulat
The story, which starts like a game in the struggle for power, is turned up side down: humiliated by her husband’s betrayal, Mou’mina, the pious, first lady of the city, becomes Almassa, the prostitute, who wants to discover her body which has been deprived of sensuality, and liberate herself from the constraints imposed upon her by her social status. The power of her seduction will make the most virtuous surrender to their lust. A sort of madness takes over everyone, reveling the most concealed anxieties and aspirations. The Mufti, religious authority, discovers that his soul is neutralized by the games of power. He moves towards love, and throws himself in the arms of the very one against whom he had emitted a fatwa — a late and impossible reconciliation between his body and his soul.
Motivated by the search of her own truth, Almassa reveals the communities’ breaches so well that she dies murdered by her brother, who aimed at clearing the family’s honor.
Opposites meet, social and political cracks intertwine with questions of personal identity. Individuals collapse, as destinies merge. Wannous’s masterpiece reaches peaks never attained in Arabic contemporary literature. Taboos are broken as the author sees deep into the human being, unveiling the fakeness of social relationships, hence uncovering desire, love and lust.
[Detailed presentation available upon request]
Translated by Rania Samara
Deuxième partie – Scène 5
(Chez Le mufti. Cheikh Muhammad Rasmi Al-Khazzâr, le père de Mou’mina, alias Almâssa. Le mufti. Almâssa.)
LE MUFTI : Votre visite m’honore, Cheikh Muhammad. J’aurais bien souhaité vous recevoir dans d’autres circonstances. Votre fille est là. Je prie Dieu que vous arriviez à la guider vers le droit chemin ; que vous puissiez la ramener vivre au sein de sa famille.
CHEIKH MUHAMMAD : Soyez remercié pour votre démarche et votre accueil, cheikh Qassem.
ALMÂSSA : Vous n’êtes jamais las de la malice et des machinations, vénérable mufti?
LE MUFTI : On ne peut reprocher à quelqu’un sa bienveillance, Mou’mina.
ALMÂSSA : Je m’appelle Almâssa. Vos tractations bienveillantes m’intriguent par leur aspect rusé et tortueux.
CHEIKH MUHAMMAD : Ma parole! Tu as dépassé les bornes! En ma présence, tu n’as pas droit à la parole. Seriez-vous assez aimable pour nous laisser seuls quelques instants, cheikh Qassem.
LE MUFTI : Bien entendu! La maison est à vous. Je te recommande, mon enfant, d’obéir à ton père et de le respecter comme il se doit.
(Le mufti se retire, laissant cheikh Muhammad seul avec sa fille.)
ALMÂSSA : Vous avez demandé l’intervention du mufti pour me rencontrer?
CHEIKH MUHAMMAD : Il n’y avait pas d’autres moyens.
ALMÂSSA : Vous auriez pu me demander de venir vous retrouver à la maison.
CHEIKH MUHAMMAD : À la maison! Tu ne te rends pas compte que tu es dorénavant la honte de la maison et de la famille! Je suis reconnaissant au Mufti d’avoir bien voulu te laisser venir chez lui. Qu’est ce qui t’a pris? Comment Satan a-t-il pu gagner autant d’emprise sur toi, te conduire comme une aveugle vers le vice et la perversion? Je ne sais plus où me mettre, comment affronter les gens. Ton comportement est inqualifiable! Nous faisons les frais des commérages et des ragots de la populace.
ALMÂSSA : Ce que je fais ne regarde que moi.
CHEIKH MUHAMMAD : Tu oses lever ton regard vers moi! Où as-tu appris tant d’effronterie? Dans notre pays la réputation d’une femme est d’abord l’affaire de sa famille. C’est une calamité pour le père, le frère, l’époux et le cousin. Est-ce ainsi que je t’ai élevée? Est-ce l’enseignement que tu avais suivi et qui te distinguait des autres filles? Qu’est-ce qui t’a pris? Pour agir de cette façon ignoble tu dois être possédée par le démon ou alors, complètement folle!
ALMÂSSA : Oui, homme pieux … Je suis possédée. Je suis hantée par ces fantômes qui se cachaient dans les combles de notre maison. Je suis hantée par les relents charnels qui se diffusaient dans tous ses recoins. Toute jeune, je reconnaissais déjà ces odeurs âcres; devenue adulte, elles m’ont enivrée. Oui, je suis hantée par les murmures étouffés, par les scandales étranglés. De quelle éducation parlez-vous, homme pieux? Savez-vous quel feu a marqué mon corps et l’a fait mûrir avant terme? C’est le feu de vos désirs insatiables et ceux de votre aîné dont vous êtes si fier. C’est le feu des larmes brûlantes de ma mère, de son silence douloureux. C’est le feu de votre regard qui me poursuivait partout dans la maison, que ce soit dans les latrines, l’alcôve ou le jardin.
CHEIKH MUHAMMAD : Tais-toi!… Que ta langue soit coupée! Je ne te reconnais plus. Tu es habitée par Satan, c’est lui qui parle par ta bouche!
ALMÂSSA : Était-ce Satan qui enseignait aux servantes les raffinements de la perversion et de la débauche, qui les dépucelait avant leur puberté? Et Satan qui chargeait la mère, dont la santé s’étiolait chaque jour davantage, d’étouffer les scandales? Savez-vous que la courtisane qui a défrayé la chronique de la ville et qui a ravagé le cœur du Prévôt était servante chez nous ; savez-vous que vous étiez son premier guide sur le chemin de la volupté et de la perversion!
(Il la gifle à toute volée, tremblant de rage),
CHEIKH MUHAMMAD : Tais-toi! … Que Dieu te maudisse! Tu as perdu tout respect, toute pudeur!
ALMÂSSA : Ne vous en prenez qu’à vous-même, père. Vous avez lacéré ma pudeur, vous avez semé en moi la tentation. Il est vrai, vous m’avez enseigné de belles paroles, mais que valent-elles lorsque je vois comment vous suivez leur enseignement, comment vous inversez leur sens pour y dérober votre jouissance. Vous m’avez appris le Coran par cœur et en même temps vous m’avez appris comment sa lecture pouvait être un écran pour le libertinage et la débauche. Je suis votre fille, mes passions sont votre héritage. Ce que je fais aujourd’hui a mûri et grandi dans les effluves qui émanaient de notre maison et se répandaient dans ses moindres recoins.
CHEIKH MUHAMMAD : Sois maudite jusqu’au jour du jugement dernier! Tu te mets sur le même pied d’égalité que les hommes? Si ce n’était l’honneur de ta défunte mère, j’aurais dit que tu n’es pas de mon sang.
ALMÂSSA : Si, père, je suis bien de votre sang. En vous parlant ainsi, mon but n’est pas de vous accuser ou de vous blâmer. Je voulais que notre rencontre se fasse en pleine lumière, que notre dialogue soit placé sous le signe de la franchise, sans mensonge ni hypocrisie. De vous, j’ai appris à toucher mon corps, à découvrir ses sources. Même si cela vous révolte, je considère cet apprentissage comme un grand bienfait, comme un trésor précieux.
CHEIKH MUHAMMAD : Tu as l’air toute fière d’afficher dépravation et corruption! E bien! … Je te donne à choisir entre le repentir, qui m’épargne le déshonneur à cet âge, et la mort.
ALMÂSSA : Ne me menacez pas, père.
CHEIKH MUHAMMAD : À toi de choisir. Si ce n’était l’indulgence de la vieillesse, je ne t’aurais pas donné du répit jusqu’à cette heure.
ALMÂSSA : N’oubliez pas, père, que les voiles dissimulant les scandales sont très fragiles. S’il devait m’arriver quelque chose, Warda déchirerait ces voiles et révélerait ses secrets. Vous auriez alors à affronter de nombreuses épreuves et non une seule.
CHEIKH MUHAMMAD : C’est ainsi que tu répliques à ton père!
ALMÂSSA : Votre menace a dicté ma réponse. Père, vous avez toujours vécu loin des regards indiscrets. Vous avez toujours su cacher vos agissements et éloigner les soupçons. Vous saurez comment camoufler ma mauvaise conduite, comment préserver votre bonne renommée loin de moi. Après tout, nous savons qu’aucun être humain ne pâtit de la faute d’un autre, que chaque âme jouit de ce qu’elle est, qu’elle porte le poids de ce qu’elle a acquis.
CHEIKH MUHAMMAD : À t’entendre parler ainsi, je ne doute pas que ta mère est en train de gémir dans sa tombe.
ALMÂSSA : N’évoquez pas le nom de ma mère! Qui l’a fait gémir toute sa vie n’a pas le droit de pleurnicher sur elle maintenant.
CHEIKH MUHAMMAD : Je n’arrive pas à comprendre comment la haine et l’ingratitude ont pris racine dans ton cœur! Tu veux me punir? Nous punir tous? Parce que ton époux s’est laissé séduire ailleurs et qu’il t’a offensée …
ALMÂSSA : Je ne cherche aucune vengeance, père. Mon époux ne m’a pas offensée.
CHEIKH MUHAMMAD : On t’a donc jeté un sortilège. Quelqu’un a dû t’aveugler. Reviens à la raison, ma fille, aie pitié de ma tête chenue. Nous dirons que tu as été touchée par la folie. Nous dirons qu’à force de prières et de dons votifs, nous avons réussi à exorciser le mal, que tu as été guérie. Plus tard, l’affaire sera close et oubliée.
ALMÂSSA : C’est mon destin, père. Si je le reniais, je serais condamnée à la folie.
CHEIKH MUHAMMAD : Dieu nous préserve! C’est l’acharnement du Diable.
ALMÂSSA : Le Diable habitait sous notre toit. Il était le compagnon de notre enfance et de notre jeunesse.
CHEIKH MUHAMMAD : Je ne reconnais plus ma fille. Tu es l’enfant du pêché. Honnie sois-tu! Je te renie devant Dieu. Je n’ai plus de fille et tu n’as plus de père. Nous verrons où cela te mènera!
(Il lui crache au visage et sort.)
ALMÂSSA (s’essuyant le visage) : Malheureux vieillard. Ta graine a germé, elle est sortie à la lumière du jour. Il n’y a pas lieu à tant de fureur.
(Le mufti entre tout agité.)
LE MUFTI : Tu as mis ton père en colère!
ALMÂSSA : C’était inévitable. Pourquoi avoir arrangé cette entrevue?
LE MUFTI : Parce que votre père le désirait. Parce que nous subissons tous le choc et l’horreur de cette situation. Comment était-il possible que vous tombiez dans cette ornière! Je suis stupéfait.
ALMÂSSA : Stupéfait! Pourquoi? Je vous l’avais bien expliqué pourtant!
LE MUFTI : Vous voulez me faire endosser la responsabilité de votre horrible comportement?
ALMÂSSA : Pas du tout! Mais je vous avais déjà parlé de la tentation du gouffre pour moi.
LE MUFTI : Je n’avais pas bien compris à ce moment-là le sens de vos paroles. Je ne vous comprends pas mieux aujourd’hui. Vous m’intriguez, je ne sais pas comment vous raisonnez ni comment vous agissez.
ALMÂSSA : Ne vous donnez pas cette peine-là.
LE MUFTI : J’ai besoin de comprendre. Vous êtes …(Il se reprend et s’interrompt)
ALMÂSSA : Je suis …?
LE MUFTI : Je ne sais … Si c’est mon arrangement qui vous a jeté dans cette voie, je suis prêt à réparer. Je veux décharger ma conscience.
ALMÂSSA : Que proposez-vous pour réparer?
LE MUFTI : Je propose de vous épouser.
ALMÂSSA : Vous épouserez une prostituée, cheikh Qassem?
LE MUFTI : Ne vous dégradez pas. Vous êtes de noble souche. Ce qui est arrivé est une petite erreur que nous pourrons effacer.
ALMÂSSA : Votre offre est généreuse, mais je n’en suis pas digne.
LE MUFTI : Bien au contraire, vous en êtes la plus digne. J’oublierai tout. Vous serez la plus adulée parmi mes épouses.
ALMÂSSA : Tout ça pour alléger votre conscience!
LE MUFTI : C’est plutôt … Oui, pourquoi pas! Je veux avoir la conscience tranquille.
ALMÂSSA : Vous pouvez être tranquille. Moi, je n’attendais que l’occasion pour me livrer à mes passions. Ce que je fais est mon libre choix.
LE MUFTI : Je persiste à vous proposer le mariage, malgré tout.
ALMÂSSA : Je n’ai pas divorcé de mon époux pour me marier avec son sosie.
LE MUFTI : Vous refusez ma proposition!
ALMÂSSA : Ma position ne me permet pas d’en être digne ni de l’accepter.
LE MUFTI : Qui êtes-vous, femme? Que voulez-vous, que cherchez-vous?
ALMÂSSA : Je cherche quelque chose qu’un homme serein tel que vous ne comprendrez pas.
LE MUFTI : Qu’est-ce qui vous fait croire que je suis serein?
ALMÂSSA : Ne m’aviez-vous pas dit que votre âme était limpide, que vous n’aviez rien dont vous puissiez avoir honte?
LE MUFTI : Il se peut que j’aie dit cela … Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Que voulez-vous, quel est votre but? Dites-moi!
ALMÂSSA : C’est difficile à expliquer. Ça va vous paraître confus. Je vacille au bord du précipice, le gouffre m’appelle. J’imagine que des plumes colorées vont me pousser sur la peau au moment de tomber. Du fond de moi-même, ces plumes jailliront, épanouies et parfaites. Je m’envolerai dans l’espace, comme les oiseaux, les brises et les rayons de soleil. Je veux rompre ces grossières cordes qui s’incrustent dans ma chair et qui paralysent mon corps. Cordes tressées dans la peur, la pudeur, la chasteté, la souillure et les tabous. Cordes faites de leçons, de sermons, de versets du Coran, et d’interdits. Les corps se fanent et s’étiolent derrière toutes ces chaînes qui s’accumulent. Moi, je veux libérer mon corps, cheikh Qassem, je veux défaire les cordes qui le rongent et le paralysent. Je veux que mon corps devienne libre, qu’il rejoigne l’orbite qui lui convient, comme les fleurs et les feuilles, comme la lune et l’herbe, comme les gazelles, les sources d’eau, la lumière, comme tout ce qui est vivant dans le cosmos. Je rêve d’atteindre mon moi, de devenir transparente comme le verre. Mon apparence c’est ma vérité, ma vérité c’est mon apparence. Mon cœur enserre des passions brûlantes et des désirs ardents. Je n’arrive pas à trouver les mots justes pour les exprimer comme je le voudrais.
LE MUFTI : Vous êtes bien étrange, Mou’mina!
ALMÂSSA : Je m’appelle Almâssa, vous dis-je ! Je tiens à garder mon nom.
LE MUFTI : Vous êtes bizarre, femme. Ce que vous dites est inconcevable. Qu’est-ce que ça signifie? Vous voulez dépeindre la dépravation sous un jour attrayant? Vous espérez atteindre votre but par la prostitution? C’est étrange! Étrange et bien bizarre … Dites-moi que tout ça n’est qu’un caprice éphémère.
ALMÂSSA : Caprice! On ne bouleverse pas sa vie de fond en comble pour un caprice. Selon vos critères, tout ça ne peut être que bizarre et étrange.
LE MUFTI : Selon les critères du monde entier, non seulement les miens.
ALMÂSSA : Vous avez bien raison. La première étape de mon trajet serait : rejeter vos critères, me libérer de vos jugements, vos catégories et vos conseils pour atteindre mon moi. Il faut aussi pouvoir transgresser les tabous, risquer le viol afin d’aller à la rencontre de mon corps, de le reconnaître. Vous avez fait des femmes un sexe faible qui peut être violé par un mot ou un regard d’autrui. Puis vous n’avez eu de cesse d’abuser de leur vulnérabilité. Nous sommes tous devenus des reptiles qui s’entre-déchirent dans un marécage fétide de mensonges, d’apparences et de chaînes. J’ai décidé, moi, de sortir de la puanteur de cette mare, de devenir une mer cristalline. La prostitution me permet de laisser tomber l’épithète et la condition du sexe faible, de m’éloigner des confins de la peur et de la violation … Mais … Je ne crois pas que vous me comprenez … De toute manière ça n’a plus aucune importance.
[Full translation available upon request]

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