Clay

Clay

Publication Date: 2005

Publisher: Dar Charqiya

Country of Publication: Egypt, Cairo

Pages: 242

Silsal

With Clay Samar Yazbek tackles, in a poetic style, a subject previously forbidden in Syrian literature: contemporary history. She reveals the mechanisms of the current regime and traces the downfall of an entire society. There is an esoteric dimension to this tale of the extinction of a noble class, a downfall that occurs in parallel with a junior officer’s ascent to power. While sharing with the reader some of the keys to the secret doctrine of Syria’s Alaouites, the author creates a fantastic atmosphere where nameless and faceless divinities rule.
The characters must each confront their failures as individuals. Haydar Ali cannot cope with his spiritual legacy and becomes entirely the product of this defeat. Ali Hassan, the young officer and dictator, is no less lonely and defeated, since nothing allows him to enjoy his victory over his rival, even after he has stolen his only love away from him along with his ancestral power.

[Detailed presentation available upon request]

Translation by Rania Samara

Arrivé au château, Ali Hassan parcourut les alentours du regard, espérant trouver de quoi démentir la nouvelle qu’il venait d’apprendre. Il n’avait pas eu le temps de réfléchir à la disparition de l’homme qui lui avait donné du fil à retordre durant toute sa vie. Il demanda à ses aides de camp de cerner l’endroit et de rester calmes jusqu’à ce que la situation s’éclaircisse. Ses hommes ressemblaient à des géants qui bougeaient la tête comme des robots et déambulaient partout portant des costumes bleu marine et des lunettes noires. Ils avaient l’air ridicules dans ce vieux cadre qui semblait extrait d’un tableau médiéval. Ils parcouraient les lieux comme une caméra, le regard tourné vers leur maître, guettant un signe de lui. En montant les marches, Ali Hassan paraissait distrait, il souhaitait en finir au plus vite. Il était à la fois étonné et soulagé de l’absence des gens du village. Ses larmes coulaient, il croyait que personne ne le remarquait, alors que ses hommes étaient stupéfaits de voir pour la première fois leur maître pleurer et essuyer ses larmes comme le commun des mortels ! Ils n’en croyaient pas leurs yeux : est-ce que cet homme pleurait vraiment ? Cet homme dont le nom à lui seul répandait la peur et la terreur parmi les gens. Cet homme à la forte carrure, aux yeux verts et saillants, pleurait en montant un vieil escalier de pierres, les mains nouées derrière le dos, la tête baissée et disparaissant entre ses épaules. Il entra en chancelant dans cette demeure vieille et délabrée qu’on appelait pompeusement château et referma la porte derrière lui. Il sentit remonter les odeurs de son enfance, lorsqu’il venait jouer sur le perron, fuyant la maison de ses parents pour se réfugier chez Haydar qui l’hébergeait et lui donnait à manger pendant plusieurs jours, le temps que tombe la colère de son père et qu’il puisse rentrer chez lui sans avoir à subir les coups de fouet de son père, les injures de sa mère et les réprimandes de ses grands frères. Ibrahim Bey lui-même le raccompagnait, le tenant par l’oreille et intercédant en sa faveur, promettant qu’il ne s’enfuirait plus jamais de l’école. L’arrivée d’Ibrahim Bey mettait un point final au conflit, surtout que la terre que cultivait le père d’Ali appartenait à Ibrahim Bey.

Il regardait sa montre de temps en temps et ne voulait pas croire que le vieux était mort. Il fut saisi d’un soubresaut en voyant Riham évanouie. Elle était inerte au moment où Mheimid l’avait portée loin de la chambre. Dilla l’avait enveloppée dans une mince couverture pour cacher la nudité de ses cuisses et de ses épaules. De temps à autre il criait à ses aides de camp de ne laisser entrer personne. Il eut peur qu’elle ouvre les yeux et espérait qu’elle restât plongée dans son sommeil pour qu’il termine ses adieux à son ami. Lorsqu’il osa enfin entrer dans la chambre, il dut se baisser devant la petite porte menant au couloir qui se terminait devant la chambre du mort. Cet instant le changea en braises et faillit le laisser tomber en cendres. Sa tête tombait en avant, son corps ressemblait à un dromadaire ou à un éléphant à longues pattes. Mais ce qui le fit se baisser encore plus ce fut un instant fulgurant qui lui traversa l’esprit et qui échappa à son contrôle, il se souvint des nombreux moments où il s’était baissé de la même manière en tendant à Haydar son baluchon avant de passer par la fenêtre, jurant de ne plus revenir chez lui. Il se rappela du rire de son ami, de ses dents blanches, de ses galipettes sur le lit, de ses railleries de le voir pleurer comme un gosse et maudire son père ivrogne. Il se souvenait de temps en temps de cette posture inclinée, chaque fois qu’il rompait la solitude de son ami de toujours en l’accompagnant à la chasse. La dernière fois remontait à un an, le climat était tout autre car l’hiver était arrivé avec timidité.

Il eut chaud soudain et eut envie d’avancer au fond du couloir, mais il demeura cloué sur place. Il revoyait clairement son ami alors qu’ils étaient assis sur le balcon de la chambre, détendus. Il se souvenait que Haydar lui demandait à chaque visite de ne plus revenir et qu’il lui répondait toujours de la même manière :
– Je reviendrai.
Il disparaissait, se promettant de ne plus revenir, mais son destin le portait toujours vers le seul être auprès de qui il pouvait paraître un homme avec un cœur, des erreurs et beaucoup de laideur qui le minait de l’intérieur.

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