Dark pages in Syria
Christophe Ayad
Liberation, 10. 08. 2011
It is as much a literary text as a testimony. Since the beginning of the Syrian revolution in March 15, the novelist Samar Yazbek has been arrested five times by the Mukhabarat, the feared and pervasive intelligence agency, which spearheaded a crackdown that has killed more than 2,000 and injured tens of thousands. During one of those forced “stays” in a interrogation center, the writer was treated to a tour of the jail where were detained and tortured the young demonstrators. That’s what she tells in Journey to the End of Hell, unedited in France and published today in Liberation France, where she describes the shock of the discovery of tortured bodies, deprived of light , care and food, exposed by their captors like a lot of meat on a stall. Their faces are unrecognizable they were beaten so hard, while their bodies are streaked with bloody wounds.
Secret. In addition to the dead and wounded by bullets, Syria has tens of thousands of inmates, 3,000 of which are simply missing. They were abducted from their homes, or in the street during a demonstration, jailed, and interrogated in secrecy. They may be dead. Their families know nothing. Sometimes they come out, without knowing why, probably to serve as an example. Many die from the torture inflicted upon them. Why has Samar Yazbek escaped? Why was she “merely” shown what others suffered, letting her home, where so many others are tortured? Because she is, at 41, one of the most famous and talented Syrian writers: author of four novels (including Smell of cinnamon, soon translated into French) and a collection of short stories, she also writes for film and television.
There is another reason for the relative indulgence: she belongs to a large family of the Alawite community, a dissident branch of Shiism, as does the clan of President Bashar al-Assad. Betting on the siege mentality of the community (which has 10% of Syrians, as many Christians, faced with 80% of Sunni Muslims) seems to be the last card the Syrian president can still play, who has always surrounded himself with close relatives, all Alawite course.
“Traitor”. This is what allowed Samar Yazbek to get out, after each arrest, of the interrogation centers to which she was taken, blindfolded and with some brutality. Failing to convince her to denounce the revolution, in which the writer is very involved, the aim was to scare and mentally break her. But this has not changed her mind, on the contrary. Consequently, the anonymous leaflets calling her a “traitor” and distributed in her native village of Jibla, death threats, and slander on the Internet, multiplied. After going into hiding, she decided to leave Syria for Paris in early July, at least for some time. But she does not consider itself in exile. Instead, she watches the events from day to day, hour by hour. With her words, she gives a voice to those who die in silence.
French original version below and on this link.
:: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: :: ::
C’est autant un texte littéraire qu’un témoignage. Depuis le début de la révolution syrienne, le 15 mars, la romancière Samar Yazbek a été arrêtée à cinq reprises par les moukhabarat, les redoutés et omniprésents services de renseignements, fers de lance d’une répression qui a fait plus de 2 000 morts et des dizaines de milliers de blessés. Au cours d’un de ces «séjours» forcés dans un centre d’interrogatoire, l’écrivaine a eu droit à une visite des geôles où sont détenus et torturés les jeunes manifestants. C’est ce qu’elle raconte dans Voyage au bout de l’enfer, le texte inédit en France que publie aujourd’hui Libération (ci-contre), où elle décrit le choc de la découverte de ces corps suppliciés, privés de lumière, de soins et de nourriture, exposés par leurs geôliers tels des tas de viande à l’étal. Leurs visages sont méconnaissables tellement ils ont été battus, tout leur corps est strié de plaies sanglantes.
Secret. Outre les morts et les blessés par balles, la Syrie compte des dizaines de milliers de détenus, dont 3 000 sont tout simplement portés disparus. Ils ont été enlevés chez eux, dans la rue ou au cours d’une manifestation, incarcérés, interrogés au secret. Peut-être sont-ils morts. Leurs familles ne savent rien. Parfois, ils ressortent sans savoir pourquoi, pour l’exemple probablement. Beaucoup décèdent des suites des tortures qui leur ont été infligées. Pourquoi Samar Yazbek y a-t-elle échappé ? Pourquoi s’est-on «contenté» de lui montrer ce que les autres subissent, la laissant rentrer chez elle, là où tant d’autres sont suppliciés ? Parce qu’elle est, à 41 ans, l’un des écrivains syriens les plus connus et talentueux : auteure de quatre romans (dont l’Odeur de la cannelle, bientôt traduit en français) et d’un recueil de nouvelles, elle a écrit pour le cinéma et la télévision.
Il y a une autre raison à cette toute relative indulgence : elle appartient à une grande famille de la communauté alaouite, cette branche dissidente du chiisme, tout comme le clan familial du Président, Bachar al-Assad. Or, miser sur le complexe obsidional de sa communauté (qui regroupe 10% des Syriens, tout comme les chrétiens, face à 80% de musulmans sunnites) semble être la dernière carte que peut encore jouer le président syrien, qui s’est toujours entouré de proches parents, tous alaouites bien sûr.
«Traître». C’est ce qui a valu à Samar Yazbek de pouvoir ressortir, après chaque arrestation, des centres d’interrogatoires où elle a été emmenée les yeux bandés et sans ménagement. Faute de la convaincre de dénoncer la révolution, dans laquelle l’écrivaine est très engagée, il s’agissait de l’effrayer, la briser moralement. Mais elle n’a pas changé d’avis, au contraire. Alors se sont multipliés les tracts anonymes la qualifiant de «traître», distribués dans son village natal de Jibla, les menaces de mort, la calomnie sur Internet. Après être passée dans la clandestinité, elle a préféré quitter la Syrie pour Paris début juillet, du moins pour quelque temps. Mais elle ne se considère pas en exil. Au contraire, elle vit les événements au jour le jour, heure par heure. Et donne avec ses mots une voix à ceux qui meurent en silence.