Press
September 30, 2010
Le Figaro on Abdullah Thabit

Le Figaro on Abdullah Thabit

Abdallah raconte le destin de ces jeunes devenus djihadistes
Pierre Prier, envoyé spécial à Djedda, Le Figaro
15/01/2008

Devenu professeur de lettres, il revient sur les racines du terrorisme dans un roman autobiographique.

Adolescent, Abdallah Thabet portait une barbe fournie et s’attaquait aux «mécréants», par exemple à des femmes qui laissaient dépasser des mains non gantées de leur robe noire. Il dirigeait un groupe clandestin adepte de la violence. Aujourd’hui, à 34 ans, rasé de près et portant longs ses cheveux prématurément blancs, devenu professeur de lettres, il lit Aristote, Voltaire et Jean Genet. De sa période djihadiste, il a tiré un roman: Le Terroriste numéro 20. Il y avait 19 terroristes dans le complot du 11 Septembre, dont 15 Saoudiens. Le parcours de son héros, Zahi, aurait pu le mener, lui aussi, dans les avions jetés contre les tours de New York et le Pentagone. Il y a beaucoup d’Abdallah dans Zahi, qui, comme son créateur, renaît en intellectuel libéral. Abdallah Thabet veut faire de lui un exemple: «C’est le roman d’une génération, affirme l’auteur. J’ai voulu montrer comment tant de jeunes Saoudiens ont basculé dans le terrorisme.»

Tous n’en sont pas sortis. D’anciens compagnons d’Abdallah se battent aujourd’hui en Irak ou préparent dans la clandestinité de nouveaux attentats en Arabie saoudite. Mais la réalité saoudienne est complexe, comme le montrent le roman et le parcours de son auteur. Septième enfant d’un paysan, il naît dans un village des hauts plateaux de l’Assir, à la frontière du Yémen, dans un monde tribal fort éloigné du rigorisme officiel.

«Les hommes et les femmes travaillaient ensemble aux champs et les femmes ne se couvraient pas la face», se souvient-il. C’est pourtant de l’Assir qu’étaient originaires plusieurs des terroristes du 11 Septembre. Tout change après 1979. Dans la foulée de l’attaque de la Grande Mosquée de LaMecque par un groupe millénariste et de la révolution khomeyniste en Iran, la monarchie saoudienne décide de renforcer sa légitimité islamique. «Des religieux rigoristes ont déferlé sur l’Assir. En vingt-cinq ans, la région a été complètement transformée», raconte Abdallah. Son père l’envoie dans une école où «tout était interdit: la musique, posséder des photos, regarder la télé».

La chasse aux «impies»

L’école était privée, dit-il, mais sponsorisée par le gouvernement. La monarchie donne ainsi des gages à la nébuleuse appelée Sawha, « l’Éveil », qui conteste le monopole religieux du roi. Enflammé par les discours de ces religieux, des lycéens et des étudiants, dans tout le royaume, vont aller plus loin et basculer dans la violence. Abdallah n’a pas aimé l’école, mais c’est au lycée, dans la capitale régionale Abha, qu’il devient un autre. «J’ai adhéré à un club de football, mais je me suis rendu compte que j’étais entré dans un groupe de “ conscientisation islamique”. Et j’ai avalé leur propagande.» Les adhérents parlent d’instaurer le califat. Oussama Ben Laden, qui s’est battu en Afghanistan, est l’un de leurs héros. «J’étais impressionné. On m’a emmené dans un cimetière où on m’a fait m’allonger dans une tombe. Ils me disaient que j’étais voué à l’enfer, mais qu’eux pouvaient me sauver si je les suivais.» Les militants se réclament de Mohammed Sourour, un Frère musulman syrien, prototype de ces activistes accueillis par le royaume et qui ont subi l’influence des intégristes saoudiens autant qu’ils les ont influencés.

Abdallah passe de l’autre côté du miroir. «J’ai quitté ma famille. Je vivais dans une maison collective avec d’autres militants. Très vite, j’ai dirigé deux cellules clandestines.» Le groupe complote, lance des raids contre les «impies»… C’est une fois inscrit à l’université islamique régionale qu’il se met à changer. «Je me suis demandé si Dieu tolérait vraiment ceux qui traitaient leurs propres parents de suppôts des juifs et des chrétiens. Je me suis mis à lire la philosophie occidentale. Je lisais 12heures par jour…»

Le groupe tentera de le retenir. Il subira même un tabassage. Aujourd’hui, il évite sa région natale. Son livre, édité en Syrie, est populaire, assure-t-il. Il aimerait qu’il soit traduit d’abord en français, «pour éviter de passer pour un ami des Américains».

Le paysage politique saoudien s’est encore compliqué. Le pouvoir ménage toujours les dirigeants les plus en vue de la nébuleuse sahwistes, dont les vues sur la société ont droit de cité tant qu’ils condamnent le terrorisme. Le prince libéral Khaled al-Fayçal, qui fut gouverneur de l’Assir, a acheté 200 exemplaires du livre de Thabet. Pour les faire distribuer aux enseignants de la région.