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September 5, 2010
Amerka!

Amerka!

Amérka !
Rabih Jaber, Amerka
Dar al Adab, Al markaz al thaqafi al arabi, Beirut, 2009, 430 pages.

Reviewed by Yasmina Jraissati, published in L’Agenda Culturel, Beirut.

Comme dans ‘Beyrouth, ville du monde’, Rabih Jaber nous livre un dernier ouvrage aux allures de document historique captivant. Le roman est d’une étonnante précision sur l’immigration levantine en Amérique au début du siècle dernier. Avec la description détaillée des lieux, des caractéristiques urbaines des villes de New York et de Philadelphie à l’époque, de leurs habitants et de leurs mœurs, des moyens de transport, du commerce et de ses conditions, le lecteur assiste à la reconstitution minutieuse d’une société, comme on construirait un miniature.
En l’absence d’une dimension psychologique, c’est la multitude de ses personnages qui octroie au roman son épaisseur. Ils ne sont que les différents visages de ce flux migratoire, véritable protagoniste du roman, principalement représenté par Martha. La jeune femme de 19 ans entreprend le long voyage qui l’emmène de Bhamdoun, dans le Mont Liban à New York à la recherche de son mari parti deux ans plus tôt en Amérique, et dont elle n’a plus aucune nouvelle. La multiplicité des personnages crée une atmosphère particulièrement attachante, malgré l’absence parfois regrettable d’intrigue. Ce sont les rues, les commerçants, les calèches, les bateaux, les Eglises, les paysages défilant derrière les vitres du train, que le lecteur cherche inlassablement à retrouver dans le regard que Martha porte sur le monde, comme poussé par une nostalgie pour une époque qu’il n’a jamais connue. La vie de Martha est l’unique fil conducteur du roman, et le lecteur suit avec beaucoup d’intérêt ses aventures à mesure qu’elle se transforme en une jeune femme confiante, devient vendeuse de porte à porte sillonnant l’Amérique du nord, puis grossiste très respectée. Bien que cette technique apporte de la cohérence au récit, elle y apporte aussi parfois inévitablement une certaine linéarité. Mais en dépit des quelques redondances qui en découlent, le lecteur comme le narrateur, s’accrochent au récit de cette vie, la curiosité véritablement attisée, assoiffé d’Histoire, de nouvelle rencontres et de découverte.
Le narrateur s’invite ainsi encore une fois dans le roman de Jaber. Il prend cette fois ci la forme plus précise d’un conteur qui mènerait son auditoire nuit après nuit dans les méandres de son récit. C’est le narrateur qui se souvient des évènements du roman, lui qui reconnaît n’avoir pas été là, lui qui imagine ce que les personnages du roman ont du ressentir à chaque moment. Cette pratique peut parfois avoir pour effet déplaisant d’arracher le lecteur à l’univers du roman. Il n’en est rien dans ce cas. Et dans la mesure où l’un des personnages secondaires a pour nom ‘Jaber’, le lecteur en arrive à se demander si l’histoire qui se déroule dans les pages de ce roman ne serait autre que celle des ancêtres du narrateur-auteur. Cette ambigüité contribue à la création d’une impression caractéristique, précieuse et insaisissable de proximité et de distance simultanée, entre fiction et histoire.

Rabih Jaber est né au Liban en 1972. Il est l’auteur de nombreux romans, dont, parmi les plus récents, ‘Yousef l’anglais’ (Youssef al inglizi, 2002), la trilogie ‘Beyrouth, ville du monde’ (Bayrout madinat al aalam, 2003-2007), ‘Beritus’ (Bayritous: madinat tahta al ard, 2006) paru en français chez Gallimard en 2009, et ‘Confessions’ (Al iitirafat, 2008).