Press
March 26, 2009
Libération, France, on Douaihy’s ‘Ayn Warda’

Libération, France, on Douaihy’s ‘Ayn Warda’

Bienvenue au «Rose Fountain Motel» de Jabbour Douaihy | La chute de la Maison Baz

Le Rose Fountain Motel, c’est le rêve de Margaret, l’épouse autrichienne de Jojo. Elle se verrait bien installer dans la maison familiale un hôtel, chaque chambre aurait une couleur différente, à la cave on ouvrirait un restaurant français qu’on appellerait Le faucon, al-Baz en arabe. Al-Baz, c’est le nom de la famille de son mari. Bien sûr, il faudrait d’abord vider la cave de ses occupants, la famille Mani’, des Bédouins installés depuis des années et qui servent de domestiques aux Al-Baz. Bien sûr, c’est impossible, quand la famille est fatiguée des délires de Margaret, on se charge de le lui faire savoir. Comme d’habitude, Margaret part arroser les plantes, fumer une cigarette et pleurer en haut de l’escalier.

“Oasis”. Rose Fountain Motel se passe à Ayn Wardeh, près de Beyrouth, pendant et après la guerre, dans une famille de la bourgeoisie chrétienne qui a connu des jours plus glorieux. C’est un des meilleurs romans arrivés du liban ces dernières années, et sa traduction est particulièrement réussie. Son auteur, jabbour Douaihy, raconte une histoire souvent grave, partois tragique, sans jamais renoncer à un humour affectueux pour ses personnages et
à un sens très vif de l’absurdité des situations, même quand il est question d’amour, de maladie ou de guerre.

Dans la famille Al-Baz, il y a Réda,le fils cadet, champion d’échecs, beau, intelligent, qui passe ses jours et ses nuits sur son ordinateur. Il a toujours été sauvage; depuis que des taches blanches colonisent ses mains etson visage, et depuis la mort de la jeune fille qu’il a aimée, il vit reclus. il y a Jojo, frère aîné de Réda et mari de Margaret, un mou qui joue les durs, le seul de ses projets qui aitjamais abouti, c’est l’installation de l’antenne télé sur le toit. Il y a la tante Nohad, qui perd lentement et sûrement la tête. Enattendant, elle entretient le mythe de la grandeur familiale. “La maison Baz était connue à des lieues pour être une oasis de bonté, racontait Nohad en prenant Réda par l’épaule… Le général Weygand a écrit que celui qui ne s’y était pas rendu n’avait rien vu de lamagie de l’Orient et rien connu de l’aménité des Orientaux.” Il y avait aussi Sarah, mais on n’a pas entendu parler d’elle depuis le jour où elle a dit qu’elle ne reviendrait pas dans une maison où l’on n’approuvait pas sonunion avec un musulman. “Sa mère brisa le long silence qui s’ensuivit en affirmant, entre deux soupirs: dès l’heure où nous l’avons appelée Sarah,j’ai su qu’elle allait nous mener la vie dure!”

Dans la maison d’Ayn Wardeh, il y a les salons fanés où on ne joue plus au bridge et la cave où s’entasse la famille Mani’, bientôt rejointe par une cousine, une jeune femme dont la beauté semble cacher une grande sauvagerie. Tout estenplace pour que se prépare l’accident annoncé dès le début. En attendant -la structure du récit est tout sauflinéaire-, on assiste à la rencontre de Nadia et de Réda dans un immeuble du quartier de Karm el Zeitoun où ils se sont mis à l’abri des tirs.

Culotte. Quant à la guerre elle-même,les Al-Baz ne sont pas du genre à exagérer son importance. “Passé l’effet de nouveauté, la guerre perdit très vite de son empire sur les esprits. Onn’en attendait plus grand-chose et chacun dans la maison s’en désintéressa pour vaquer à ses occupations.” Sauf Margaret: quand elle apprend qu’on arrête les gens, partois qu’on les tue, en fonction de leur appartenance, elle n’a de cesse de savoir comment on distingue un musulman d’un chrétien. Et s’il n’a pas de carte d’identité? Et Réda, c’est musulman ou chrétien? Elle exaspère tout le monde, Nohad finit par craquer. «Fais donc taire cette femme, je t’en supplie! Qu’elle arrête avec ses âneries! Comme si cette situation ne nous empoisonnait déjà pas assez l’existence.” Quand, vers la fin, on découvre Réda au bas de l’escalier la culotte de la belle Arabe à la main, on se doute qu’il va se passer des choses entre les gens de la cave et ceux du salon.
Natalie Levisalles