Dans son nouveau livre, Le Mont aux lis : histoires de songes (Dar Al-Mada), Samar Yazbek (1970) pose tout d’abord des questions liées au genre littéraire.
Le lecteur, qui l’a connue nouvelliste dans Baqet kharif (bouquet d’automne, Dar Al-Gundi, 1999), Moufradat imraa (les mots d’une femme, Dar Al-Kounouz al-adabiya, 2000), et romancière dans Tiflat al-samaa (l’enfant du ciel, Dar Al-Kounouz al-adabiya, 2002), Silsal (Clay ou Argile, Charqiyat, 2005) et Raihat al-qirfah (Cinnamon ou L’odeur de la cannelle, Dar Al-Adab, 2008), se retrouve ici face à des textes difficiles à classer. On y décèle plusieurs caractéristiques de l’écriture intergénérique qui mêle l’esthétique de la nouvelle à la densité de l’écriture poétique, ce qui les rapproche du poème en prose dans sa forme la plus répandue aujourd’hui basée sur les détails de la vie quotidienne et l’utilisation de la narration poétique comme technique d’écriture.
Yazbak, elle, choisit ici de faire appel à ses rêves pour retrouver, à travers leur horizon infini, nombre de ses expériences qui deviennent ainsi l’espace de cette écriture. Cela n’est pas sans rappeler ce que faisaient les surréalistes, entre pari sur le rêve et fascination pour la « mythologie ». Les rêves, dont certains sont racontés en détails, ne doivent pas être considérés comme un refuge au-delà des frontières d’un monde incapable de satisfaire l’individu, mais plutôt comme un élément stimulant, comme la recherche d’une clé vers un monde invisible et inconnu. Quant à la mythologie, indépendamment de l’espace et du temps auxquels elle appartient, elle se révèle souvent ressembler à la réalité.
C’est là le cœur du jeu que pratique Samar Yazbak dans Le Mont aux lis. Le songe que nous suivons avec elle plonge dans les couches profondes de l’inconscient, libère les énergies inconscientes qu’il exprime. C’est le lieu idéal pour rechercher les liens cachés entre l’être, le visible et l’invisible, et une façon de mettre l’être humain en lien avec des univers cachés. Le songe est dans ce livre une manière de créer un univers propre d’images intérieures et d’aventures extraordinaires dont les contradictions n’apparaissent que lorsque l’on est éveillé. Quant à l’écriture, elle est, d’après l’expression que l’auteur emprunte à Joseph Conrad, « un lieu de vie ».
En plus du type de songes et de visions que narre l’écrivain, le type de personnages qui y apparaissent retient également l’attention. Tous, ils poussent d’une manière ou d’une autre à la révolte. L’on peut également y voir des clés pour pénétrer l’univers de Yazbak et dévoiler ses références littéraires, ou un instrument pour découvrir ceux qui ont marqué sa conscience, ceux qui l’ont poussée à s’investir dans le jeu de l’écriture. A ce stade, il n’y a pas de différence entre l’imam Ali ibn Abi-Taleb, Colin Wilson, Virginia Woolf, Toni Morrison, Meryl Streep, Ghada Al-Samman, Tagore, Edouard Saïd, le penseur syrien Antoine Maqdisi et Daad Haddad, la poétesse syrienne des années soixante-dix à laquelle elle dédie le livre, morte il y a des années.
Entre les soixante-dix textes de ce livre, entre mémoires, pensées, et songes, Samar Yazbak volette avec l’élégance d’un papillon à qui elle emprunte sa liberté pour dépasser, outrepasser audacieusement les frontières entre genres littéraires. Elle se saisit de ses personnages et les déplace sur le théâtre aux marionnettes. Avec eux, elle construit son univers, qu’elle décrit avec une sensibilité fantaisiste dévoilant une conscience aiguë. Aucune possibilité ici d’accuser l’écrivain de négliger les grandes causes qui affleurent dans ces textes avec une légèreté qui nous permet de les apparenter à un temps nouveau où il est devenu de bon ton d’ironiser sur nos grandes causes et de regretter leur poids, sans avoir le luxe de les fuir.
Samar Yazbak, elle, ne renie pas dans Le Mont aux lis son identité nationale ou de genre, ni ses activités en défense de ces deux identités. Elle crée pour cette plaidoirie des modes d’expression vivants, où il n’y a pas de place pour des slogans tapageurs. Danser est peut-être le plus beau des moyens pour se déclarer exister. C’est la cinquième direction, celle que les géographes ont oubliée quand ils ont défini les directions de la terre.
Sayed Mahmoud
An article taken from Al-Ahram Hebdo