June rain
Publication Date: 2006
Publisher: Dar an-nahar
Country of Publication: Lebanon, Beirut
Pages: 325
Matar Hzayran
Summer Rain brings us back to the massacres perpetuated in June 1957 in the northern area of Lebanon, Zgharta, the author’s hometown. The novel is set at the aftermaths of this massacre, that took the life of more than 50 male members of the al-Semaani clan, in a planned shooting that lasted more than 20 minutes, and occurred in the church of Bab al-Hawa, during a mass commemorating the first anniversary of an important cleric’s death.
The beginning of the novel is set on the afternoon of the massacre. It carefully and quietly lays down the story’s very dramatic context: Children are hurried back home from school. Nobody dares tell them what had happened. They, along with the reader, only sense the extent of the drama in the silence that accompanies them in the school bus, and welcomes them in the village.
The shootings’ aim was purely political, but its consequences were a social disaster. Both clans live on the two sides of the same town’s main road. For years, this road will be perceived by the town’s inhabitants like a green line no one was allowed to cross — except for the priest. Snipers were posted on both sides, and in the typical logic of the Italian vendetta, people were executed for revenge. Married couples were separated, as wives were asked to leave husband and children and go back to their own clan, on the other side of the green line.
We discover the complexity of the story, its versions varying from teller to teller. We get to know its victims, witnesses, actors, through one character’s investigation, Eliyya. Eliyya, son of Kamila and Youssef al-Semaani is born 9 months and 2 weeks after his father’s murder. The couple was married for 15 years, and Kamila never bore a child, until Youssef dies. This late birth is the cause of harmful gossips that ultimately provoke Eliyya’s departure for New York where he is enrolled as a student. He only comes back in the 90’s, a man of 42 years old. He hasn’t seen his mother in the past 20 years, and the only reason why he decides to come back, is to understand what had happened some forty years earlier, how his father had died, and ultimately, who was his father.
Douaihy’s detailed sensitive account of that society is halfway between realism and caricature, a tribute to his hometown, a detailed record of a part of its history that is still unmentionable, and a legacy to its daughters and sons. However dramatic the context and story, Jabbour Douaihy’s sense of humor is still perceptible. His sarcastic and affectionate eye grasps the essential absurdity and cruelty of a situation, too often observed in different parts of the world.
June Rain was shortlisted for The International Prize for Arabic Fiction (IPAF, 2008).
Translation by H. Ayoub and H. Boisson
En entendant la porte claquer, Maurice fit tourner le moteur, et démarra sans faire son signe de croix. Entre nous, cette fois, pas de disputes pour savoir qui prendrait les places du côté des fenêtres, pour nous partager les immenses sièges arrière où l’on pouvait allonger les jambes et même s’étendre de tout son long, oubliant ainsi la pénible position assise de rigueur dans les salles de classe.
Maurice s’employa d’abord à sortir de la ville. C’était comme si les difficultés du passage dans les petites rues lui permettait de repousser à plus tard nos questions incessantes. Il n’était pas disponible, et le prouvait par ce mécontentement exagéré qu’on lisait sur son visage quand il évitait les charrettes de fruits, les vendeurs de sirop ambulants, les motocyclistes téméraires chargés de leurs livraisons de fèves ou de pois chiches. Il ne disait rien. Il ne se plaignit pas, ce jour-là, du désordre qui régnait dans le marché au blé. Il n’insulta pas les portefaix qui bloquaient la rue, le dos ployant sous leurs lourdes charges. Il fit même preuve de patience envers le conducteur d’une voiture à cheval qui barrait complètement le passage, coincée au beau milieu des étals de légumes.
Maurice nous l’avait répété jusqu’à plus soif : pour lui, tout ceci montrait de façon éclatante la raison pour laquelle les Arabes étaient incapables de gagner les guerres ; il se gardait d’ailleurs de préciser s’il se réjouissait de ces défaites ou s’il en souffrait. Mais ce matin-là, il semblait ne plus savoir parler, ses petits bras s’escrimant à tourner l’immense cercle du volant dans les virages pénibles et innombrables qui montaient vers « l’école des Américains ». En tout cas, pour la première fois dans l’histoire de nos voyages à bord du bus de Maurice, nous avions le sentiment qu’il n’était pas pressé de nous ramener chez nous. Autant que je me souvienne, nous n’étions pas pressés non plus.
Une fois dépassés les derniers bâtiments que l’on voyait çà et là, de part et d’autre de la rue des Cèdres, nous prîmes le virage près du château d’eau. C’était le moment où, à l’aise dans la grande ligne droite, Maurice allait nous expliquer pourquoi il nous ramenait tous à la maison alors qu’on était un lundi. Dès qu’on put voir les hautes montagnes, encore noyées à cette heure-ci dans une légère brume matinale, nous entendîmes un sanglot. Comprenant tout-à-coup qu’il ne parlerait pas, nous cessâmes de poser des questions, et nous le regardâmes dans le large rétroviseur qui lui servait d’ordinaire à nous surveiller… Ses immenses yeux verts avaient la couleur des pommes, de celles que mon grand-père paternel nous empêchait de cueillir, prétextant toujours qu’elles n’étaient pas assez mûres.
Quand apparut la plaine menant au village, Maurice pleurait toujours. Ceux qui étaient assis du côté des fenêtres n’ont pas sorti la tête pour sentir le grand air et jouir du spectacle des oliviers qui, accourant en sens inverse, vers la ville, animaient la monotonie du paysage. Dans la plaine, nous nous sommes regardés, nous nous sommes comptés. Nous étions dix-huit élèves de différentes classes, mais nous n’étions pas tous de Barqa. Deux étrangers s’étaient glissés parmi nous. Certes, leurs parents habitaient notre village ; mais c’étaient des étrangers. Jamil ne faisait pas de différence entre eux et nous. Ils étaient non pas des enfants de Barqa, mais seulement des habitants de Barqa ; ils avaient choisi de monter dans le bus avec nous, au risque de partager les dangers qui nous attendaient, plutôt que de rester sur les tristes bancs de la classe.
Maurice pleurait comme s’il était seul, comme s’il n’y avait pas tous ces yeux qui le dévisageaient. En tête à tête avec lui-même. Maurice, c’était notre voisin. Il n’avait pas eu d’enfants. Je l’avais souvent vu, après avoir reconduit tous les élèves chez eux, s’asseoir près de sa femme à l’ombre d’un jujubier, sur une banquette de bois, comme pour attendre la tombée du soir, en compagnie d’un poste de radio qui passait des chansons de Mohammed Abdelwahhab. Maurice était le premier adulte que je voyais pleurer sans retenue. Il n’essuyait pas ses larmes mais les laissait rouler sur ses joues, et des gouttes tombaient sur le volant du bus. Pleurer ainsi, ça ne se faisait pas, sauf dans quelques films d’amour que les grands élèves de l’école, lorsqu’ils séchaient les cours, allaient voir au cinéma Roxy. Dans le vaste rétroviseur, ses yeux verts étaient encore plus grands. Il pleurait, et nous, nous le regardions dans un silence absolu, qui nous permit de découvrir la quantité incroyable de grincements et de tremblements que produisait l’autobus chancelant de Maurice, vacarme que couvraient d’ordinaire nos cris ininterrompus.
Seule réussit à nous détourner de Maurice l’arrivée à la pente d’al-‘Akba, d’où l’on pouvait voir le village, massé au sommet de la colline, encore enveloppé d’un peu de ce brouillard blanc qui montait du fleuve. Après avoir ralenti, Maurice prit la descente dans les piaillements aigus des freins, et nous aperçûmes le pont de fer, avec la foule attroupée autour d’un tank, d’où dépassait le casque d’un soldat couvert d’une peinture de camouflage censée imiter les couleurs de la nature. Il n’y avait que des femmes et des soldats. Dans l’attroupement, je reconnus la sœur de ma mère. Elle était vêtue d’une robe rouge et ses cheveux étaient tout ébouriffés. La plupart des femmes étaient en noir. Me demandant pourquoi ils l’avaient envoyée me chercher, je supposai que mon père et ma mère étaient trop occupés par ce qui se passait pour venir. De loin, je la voyais croiser les bras sur sa poitrine, secouant nerveusement les épaules. Elles étaient une vingtaine de femmes serrées les unes contres les autres, ne formant qu’un seul bloc. Un petit groupe de soldats s’éparpillait au-dessus du pont et aux alentours. En descendant de l’autocar, nous entendîmes les conversations de deux soldats qui regardaient l’eau boueuse, fusil à l’épaule, l’un racontant à l’autre que la fonte des neiges avait tardé l’année dernière, que le fleuve avait débordé et emporté le pont de pierre, et comment on avait bâti à la place ce pont de fer. J’essayai d’interroger ma tante sur ce qui se passait, mais elle me fit taire, plaquant sa main sur ma bouche comme si je commettais une faute très grave. Le groupe des femmes s’ébranla, avec les écoliers, en direction du village. C’était un étrange convoi. Ma tante m’entraînait par la main. Je crois m’être souvent retourné pour savoir ce qu’allaient faire mes camarades que personne n’était venu chercher et qui restaient là à attendre avec les soldats. Personne n’était venu à la rencontre des deux étrangers. Sans doute leurs parents ne s’attendaient-ils pas à les voir rentrer à l’improviste. Sans savoir pourquoi, je m’inquiétais pour eux. Pourtant, je le savais bien, les étrangers n’ont pas à craindre le danger.
Sindbad, Actes Sud, France, French, 2010
Feltrinelli, Italy, Italian, 2010
Hanser, Germany, German, 2013
Turner, Spain, Spanish, 2015
Prozart, Macedonia, the Former Yugoslav Republic of, Macedonian, 2018
Interlink, United States, English, 2019
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