By Melhem Chaoul, for L’Orient littéraire, published April 2019.
Starting with the title, Malek al-Hind (The King of India): There are no kings (in that story), let alone Kings of the Indian peninsula. By this metaphor, Jabbour Douaihy signifies the absence of power, the absence of control over fate, such as the Viceroy of the Indies at the time of the British Empire who managed a state whose fate was decided elsewhere.
Zaccaria Mubarak’s destiny is thus fashioned, fluctuating like the “Raft of the Medusa” on the murky waters of countries and continents.
The novel begins with a detective plot: a crime, a victim and suspects, as it should be. In his setting up of the criminal act and its many ripples on family and social ties, Douaihy sneaks into the intellectual debate about the possibility or not of detective fiction in Arabic. His story shows a possibility in this genre, but where will it lead in fine?
Contrary to the process of inquiry in the so-called “Western” world which focuses on the criminal-individual (with or without accomplices), in the Lebanese Mountain society, the investigation is already skewed by the irruption of collectivity in the treatment of criminal cases. There, the process is framed by the rule of law, the necessary search for unavoidable clues, the presumption of innocence enjoyed by the suspect, respect for private life, and so on. Here, the author asks us from the outset to consider that local crimes are treated in a completely opposite sense: preconceived suspicions established on the basis of lineage, secular antagonisms between hereditary enemies conditioned by conflict and ready for crime.
In the setting of Tall Safra, a locality overlooking Beirut in a mixed Druzo-Christian region, Douaihy wonders: What is a crime? An umpteenth settling of accounts between brothers, cousins, nephews? Or between members of religious communities so close and so hostile? So much for the perpetual mobile of inheritance, involving a house and a vineyard, or is it rather the obscure conditions of ownership transfer within a lineage or between people of different faiths?
The “local system”, a good product of the “failure state”, manages the investigation without investigating. The local sergeant knows who is the culprit and does not need proof because everyone knows it too. He botches the investigation. But this is not the case of Kamal Abu Khaled, the deputy investigating judge instructed by the prosecution to continue the search. Equipped with a doctorate in law from the University of Paris, trained with rigor and objectivity, impartial in his judgments, he is set to discover the assassin, the real one!
It is important for him at first to explore the life of Zaccaria, the victim. An adventurer eager for vast spaces as well as for female conquests, it is likely he has made himself as many enemies as friends. Abou Khaled first favors the local hypothesis, that of a settlement of family accounts. And there, through Douaihy’s interrogations and narrative interventions, Pandora’s box opens: between truths, myths and legends, the secrets of the families of the Lebanese Mountain are resisting the scientific spirit of our young lawyer. The Mubarak family is dominated by the figure of the matriarch Philomene. Committed and decided, she made a fortune by emigrating alone to the United States and came back to realize the dream common to all the villagers of the Mountain: to build in the village a vast and beautiful family home and to acquire a vineyard.
This saga prompts our author to scratch the legendary epic of Lebanese emigration to the Americas. In the vast Western world so far from the native land, all blows are allowed to survive and eventually get rich; one can play on all the tables, at the limits of the codes of morality and even religion, as Philomène does not hesitate to do. Her tortuous spirit will capsize the young magistrate’s confidence.
He turns next to the “Western” aspect of Zaccaria’s life, immerses himself in his Parisian journeys, peels over his female conquests, and at one point believes in “holding a concrete track”. It turns out that the victim is in possession of a painting by Marc Chagall, The Violin Player, worth millions of dollars, stolen from a French lover residing in Saint-Paul-de-Vence where the painter had lived. This is enough to mobilize all the international mafias and art smugglers! Douaihy does not hesitate to introduce in his novel the ingredients of the “polar”, with networks of mobsters, gangs, restaurant chains covering money-laundering activities, love and betrayal, etc.
But here too the hypotheses and the tracks get confused, is the work authentic or is it a fake? Kamal Abu Khaled loses his codes and gets back to square one: Tal Safra and its torments that date back to the massacres between Druze and Christians in 1860. At the bottom of which labyrinth lies the truth of a crime?
In today’s world, Anglo-Saxons have introduced the term “fake”. Thus, we say “fake news”, “fake videos”, “fake pictures” to signify what is false and counterfeit. In this latest novel, the police plot is only an alibi for Jabbour Douaihy to discover – or perhaps to denounce – this counterfeit web that envelops us: counterfeit history, social relationships, fortunes and beliefs.
Thus, by venturing into the polar genre in Arabic, Jabbour Douaihy may have dug its grave.
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Commençons par le titre, Malek al-Hind (Le roi des Indes). Il ne s’agit ni de roi ni, à plus forte raison, de la péninsule indienne. Par cette métaphore, Jabbour Douaihy signifie le non pouvoir, l’absence d’emprise sur le destin, tel le vice-roi des Indes à l’époque de l’Empire britannique qui gérait un État dont le destin était arrangé ailleurs.
Ainsi, est façonné le destin de Zaccaria Moubarak qui vogue et fluctue à l’image du « radeau de la Méduse » sur les eaux troubles des contrées et des continents.
Le roman débute par une trame policière : un crime, une victime et des suspects comme il se doit. Dans sa mise en place de l’acte criminel et de ses multiples ondulations sur les liens familiaux et sociaux, Douaihy se faufile dans le débat intellectuel relatif à la possibilité ou pas d’une expérience de fiction policière en arabe. Son récit montre une possible esquisse dans ce genre, mais où va-t-elle mener in fine ?
À l’encontre du processus d’enquête dans le monde dit « occidental » qui focalise sur l’individu-criminel (avec ou sans complices), dans la société de la Montagne libanaise, celle-ci est déjà biaisée par l’irruption du collectif dans le traitement des affaires criminelles. Là-bas, le processus est encadré par l’État de droit, la nécessaire recherche d’indices incontournables, la présomption d’innocence dont bénéficie le suspect, le respect de la vie privée, etc. Ici, l’auteur nous sollicite dès le départ à considérer que les crimes locaux sont traités dans un sens tout à fait opposé : suspicions préconçues établies sur la base du lignage, des antagonismes séculaires entre ennemis héréditaires conditionnés par les conflits et prêts au crime.
Dans le décor de Tall Safra, localité surplombant Beyrouth dans une région mixte druzo-chrétienne, Douaihy se demande : Qu’est-ce qu’un crime ? Un énième règlement de comptes entre frères, cousins, neveux ? Ou entre membres de communautés religieuses si proches et si hostiles ? Cela pour un sempiternel mobile du genre héritage, une maison et un vignoble, ou pour les conditions obscures d’un transfert de propriété au sein d’un lignage ou entre confessions différentes ?
Le « système local » en bon produit du « failure state » gère l’enquête sans enquêter. Le sergent local sait qui est le coupable et n’a pas besoin de preuves car tout le monde le sait aussi. Il bâcle l’enquête. Mais ce n’est pas le cas de Kamal Abou Khaled, l’adjoint du juge d’instruction chargé par le Parquet de poursuivre les recherches. Muni d’un doctorat en droit de l’université de Paris, formé à la rigueur et à l’objectivité, impartial dans ses jugements, il s’entête à découvrir l’assassin, le vrai !
Il lui importe au départ d’explorer la vie de Zaccaria, la victime. Aventurier avide aussi bien de vastes espaces que de conquêtes féminines, il est probable qu’il se soit fait autant d’ennemis que d’amis. Abou Khaled privilégie d’abord l’hypothèse locale, celle d’un règlement de comptes familial. Et là, à travers interrogatoires et interventions narratives de Douaihy, la boîte de Pandore s’entrouvre : entre vérités, mythes et légendes, voilà que les secrets des familles de la Montagne libanaise résistent à l’esprit scientifique de notre jeune juriste. La famille Moubarak est dominée par la figure de la matriarche Philomène. Volontaire et décidée, elle a fait fortune en émigrant seule aux États-Unis et en est revenue pour réaliser le rêve commun à tous les villageois de la Montagne : construire au village une vaste et belle demeure familiale et acquérir un vignoble.
Cette saga incite notre auteur à égratigner la mythique légende épique de l’émigration libanaise vers les Amériques. Dans le vaste monde occidental si éloigné de la terre natale, tous les coups sont permis pour survivre et éventuellement s’enrichir et on peut jouer sur tous les tableaux, à la limite des codes de la morale et même de la religion, ce que Philomène ne se prive pas de faire. Son esprit tortueux fera chavirer la confiance de notre jeune magistrat si décidé.
Il se tourne vers le volet « occidental » de la vie de Zaccaria, plonge dans ses séjours parisiens, épluche ses conquêtes féminines et croit à un moment donné « tenir une piste en béton », comme on s’exprime dans le jargon de « la crime ». Il se trouve que la victime est en possession d’un tableau de Marc Chagall, Le Joueur de violon, qui vaudrait des millions de dollars, dérobé à une amante française résidant à Saint-Paul-de-Vence où le peintre a vécu. De quoi mobiliser toutes les mafias internationales de la contrebande des objets d’art ! Et Douaihy ne se prive pas d’introduire alors dans son roman les ingrédients du « polar » façon Maigret, avec réseaux de mafieux, gangs, chaînes de restaurants couvrant des activités de blanchiment d’argent, amours et trahisons, etc.
Mais là aussi les hypothèses et les pistes s’embrouillent, l’œuvre est-elle authentique ou s’agit-il d’un faux ? Kamal Abou Khaled y perd ses codes et revient à la case départ, Tal Safra et ses tourments qui remontent aux massacres entre druzes et chrétiens en 1860. Au fond de quel labyrinthe gît la vérité d’un crime ?
Dans notre monde actuel, les anglo-saxons ont introduit un terme intraduisible avec exactitude en français : c’est le terme « fake ». Ainsi, on dit « fake news », « fake videos », « fake pictures » pour signifier ce qui est faux et contrefait. Dans ce dernier roman, la trame policière n’est qu’un alibi pour Jabbour Douaihy pour découvrir – ou peut être de dénoncer – cette toile de contrefaçon qui nous enveloppe, contrefaçon de l’Histoire, des rapports sociaux, des fortunes et des croyances.
Ainsi, en s’aventurant dans le genre polar en arabe, Jabbour Douaihy s’en est peut-être fait le fossoyeur.