As all great epistolarians, Madame de Sevigne for example, the immense Lebanese novelist Hoda Barakat knows that the art of correspondence is a metaphysical act. Here, a series of letters, with no direct link, follow each other as many variations on pain, and the exquisiteness of absence.
(…)
Justice, maternal and filial love, even God, all enter into the ruthless grinder of doubt. But Hoda Barakat does not solicit novelists’ usual Providence , kneaded with compassion and charity — gaps are not suddenly filled, and the missed loved ones don’t unexpectedly show up. As a true novelist, she knows that the form can do much more than the story. Hence the composition of the book: the authors of these letters have nothing in common. Each of them finds the preceding letter by chance. Yet, these correspondences are not dead letters: Someone, somewhere reads and hears their call. Vox damantis, but not in déserta.
In French:
Bonjour : et puis quelles « nouvelles ? / N’en saurait-on de vous avoir ? » Ces vers, de Clément Marot, sont faussement insignifiants : en quelques mots, ils cristallisent ce vertigineux désarroi, ce gouffre que tente de combler l’acte trompeusement anodin qui consiste à écrire une lettre. Tracer des lignes comme un appel, une évocation/invocation de l’absent. Exorciser le vide où s’est dissous l’autre. A l’instar des grands épistoliers, d’une Mme de Sévigné, l’immense romancière libanaise Hoda Barakat sait que l’art de la correspondance est un acte métaphysique. Une série de lettres, sans lien direct les unes avec les autres, se succèdent ainsi comme autant de variations sur la douleur exquise du manque.
Néant amoureux de la première lettre : un homme manie le chaud et froid rhétorique de l’accusation et de la plainte, entre le romantisme désespéré
de l’incompris et la hargne macho du pervers narcissique. Et fait entendre la plainte d’un doute radical : est-il aimé ? Mais aussi : est-il en droit de
douter, lui dont la lucidité et l’ironie, omniprésentes, s’appliquent aussi à ses propres accusations contre sa destinataire ? Dialectique sceptique, qui finit, comme dans tout scepticisme, par s’annuler à force de contradictions. Et dont il ne reste qu’une chose : un cri de douleur, d’autant plus déchirant que l’homme, cocaïnomane, sans papiers, parano, est au bout de la pente de la déchéance. Un cri de souffrance : celle du vide, de la vacance de l’autre.
Ce doute corrosif, la deuxième lettre en fait aussi l’expérience. Que peut-il bien rester à cette femme, qui écrit à l’homme qu’elle attend depuis une chambre d’hôtel, cette femme pour qui « petit à petit, jour après jour, la solitude est devenue pour moi un luxe total. Une richesse considérable. La solitude dans un air que je suis seule à respirer. » ? Que peut-il rester à celle qui a érigé le solipsisme le plus absolu en mode de vivre, en mode d’être ?
Rien, bien sûr. Au fil de la lettre, tout se désagrège : la mémoire et les souvenirs ne sont que des leurres, les autres – lieux ou individus – des déceptions ou des menaces. Même force dissolvante dans les lettres suivantes. Un ancien prisonnier politique, passé dans le camp de ses tortionnaires, puis réfugié
à l’étranger écrit à sa mère ; un homo s’adresse à un père dont il n’a jamais été à la hauteur des exigences viriles ; une fille achoppe sur le mur de mépris qu’est sa mère. Et voici que la justice, l’amour maternel et filial, voire Dieu, tout ça passe dans l’impitoyable broyeur du doute. Mais Hoda Barakat ne sollicite pas la Providence des romanciers pétris de compassion et de charité, ces retournements de situation où se comblent les manques, reviennent les absents. En vraie romancière, elle sait que la forme peut autant, sinon plus que l’histoire. D’où la composition du livre : ces épistoliers n’ont rien en
commun, mais chacun trouve, par hasard, la lettre de celui qui le précède. Comme un passage de relais : ces correspondances ne restent pas lettres
mortes. Quelqu’un, quelque parties lit, entend leur appel. Vox damantis, mais pas in déserta.