Lebanese novelist Jabbour Douaihy offers a fake thriller, but a real comedy, tribute to Arabic writing and printing.
Here is a Lebanese novel that is far from the stereotypes of Europeans on Middle Eastern literature. There are no reminiscences of war, no religious questions, no community issues. It is about Beirut, the history of which is told through that of a printing press, starting 1914. But it is also about the laughable posture of the contemporary writer.
From the first lines, the humor of Jabbour Douaihy prevails.
(…)
… Times have changed, says this great scholar, and with them, the world of publishing (…) But he says it in the most elegant way possible. A fake polar, deeper than it seems, celebrating with humor the smell of ink, the shape of Arabic characters, calligraphy. In short, the beauty – truly “unique” this time – of all printed text.
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Le romancier libanais Jabbour Douaihy livre un faux polar, mais une vraie comédie, hommage à l’écriture arabe et à l’imprimerie.
Voici un roman libanais qui ne correspond en rien aux stéréotypes des Européens sur la littérature moyen-orientale. On n’y trouve ni réminiscences de la guerre, ni questions religieuses, ni problématiques communautaires. Il s’agit de raconter, à partir de 1914, l’histoire de Beyrouth à travers celle d’une imprimerie. Mais il s’agit aussi d’interroger la posture de l’écrivain contemporain, en faisant rire.
Dès les premières lignes, l’humour et l’alacrité de Jabbour Douaihy s’imposent. Le patronyme de son héros donne le ton. Il s’appelle Farid Abou Chaar – ce qui, comme l’explique la traductrice Stéphanie Dujols, signifie en arabe « l’unique » (farid) et « le chevelu » (abou chaar). Abou Chaar, la trentaine, se prend pour un écrivain. Lorsqu’on fait sa connaissance, il saute d’un autobus et s’élance vers une maison d’édition, serrant sur son cœur un épais cahier à reliure rouge : son manuscrit. Un livre, son premier certes, mais dans lequel il a mis « toute la substance de son être ! ». D’ailleurs, son œuvre est si merveilleusement pleine et parfaite qu’il l’a tout simplement intitulée Le Livre. En couverture, il a pensé à La Création d’Adam, de Michel-Ange, l’index de Dieu pointant vers la dédicace, la seule possible : « A Moi »…
Hélas, lorsqu’il fait le tour des éditeurs beyrouthins, « le Chevelu » n’essuie que des refus. Cette incompréhension le mine tellement qu’il accepte, en désespoir de cause, un emploi de correcteur à l’imprimerie Karam. Il ignore ce qui l’attend là-bas. Un destin mille fois plus rocambolesque que toutes les trames romanesques auxquelles il aurait jamais pu songer.
Invraisemblable imbroglio
… C’est une parodie de polar qu’il (Jabbour Douaihy) offre ici. A peine embauché, Abou Chaar fait la connaissance de la sublime Perséphone – la femme du patron – dont le prénom annonce à lui seul sa descente aux enfers. Hormis un rendez-vous mensuel avec de vieilles amies de lycée – « leurs mariages étaient ratés, leurs rires retentissants » –, « Perso » s’ennuie tellement que, pour tromper son ennui, elle se nourrit de romans hérités de son père. Des volumes de la « Série noire » qui vont bientôt faire écho à l’invraisemblable imbroglio où est pris Abou Chaar lorsque Perséphone fait imprimer un exemplaire unique de son précieux manuscrit…
… Les temps ont changé, nous dit ce grand érudit, et, avec eux, le monde de l’édition. Quiconque s’aviserait aujourd’hui d’écrire comme Gibran (1883-1931, le Victor Hugo libanais) pour délivrer vérité et sagesse ne serait qu’un précieux ridicule. Sans doute est-ce la conclusion à laquelle l’écrivain est lui-même arrivé à presque 70 ans. Mais il choisit pour le dire la façon la plus élégante qui soit. Un faux polar, plus profond qu’il n’y paraît, célébrant avec drôlerie l’odeur de l’encre, la forme des caractères arabes, la calligraphie. Bref, la beauté – vraiment « unique » cette fois – de tout texte imprimé.