This piece is by Alexis Brocas, for the Magazine littéraire, published in September 2015.
Translated excerpts below.
Since Tchen’sattacks in The Human Condition, terrorism seems a constant theme in contemporary literature — a mirror that we walk along a path bordered by the collective history and the author’s personal history. Three novels came out this autumn, written in various languages, but dealing with this issue using converging narratives.
In The French, Julien Suaudeau recounts the trajectory of a young, clueless, anonymous, young man from Evreux to to the caliphate of Daech — and from petty crime to slaughter. For his part, the Lebanese Jabbour Douaihy described in American neighborhood, the radicalization of a kid from Tripoli, ultimately leading him to wear explosives around his waist, while the American Richard Powers, in Orfeo, invents a compatriote avant-garde composer, turning him into an amateur bio-terrorist.
Is it any wonder that in their dealing with terrorism, these three novels consider it through the angle of genesis? Since the Islamic State began to recruit in all directions, the American media, the French secret services, and the Tripoli street all seem to ask the same question: How does one become a terrorist? At the end of what story? The three writers do not provide quite the same answers. Nevertheless, it is fascinating to find, in the paths of their terrorists-in-becoming, common traits and motives (…)
A singular character , the French [in the French] seems to correspond to a profile sought by terrorist groups. Besides, he also shares many features with Ismail, one of the main characters in the American neighborhood, it is almost as if they were twins. Ismail comes from a torn home: his father, an alcoholic, and incompetent, beats his mother, Intissar. Ismail is raised by his grandmother, then when she dies, he returns to his parents’ home. He abandons his studies, starts drinking, gets an angel of death tattooed on his back, and seems all set for a local leader’s career. But at the same time, in the neighborhood, settles a young sheikh come from Pakistan, who sometimes starts to preach “that representing the human soul is a sin because it is measuring oneself to God’s creation,” and sometimes criticises how “elector’s votes are being bought, and simply calls to boycott the elections because voting was contrary to the precepts of an Islamic state. Some youth listened, Ismail flared. ” And one can see why! As lost as Julien Suaudeau’s French, this Ismail is ready to follow the first Sherpa who will show him the way (…)
Once his training complete, Ismail is responsible for a suicide attack. And when images of his preparation for jihad reach his neighborhood, he becomes a full-fledged hero, in the same way that Suaudeau’s character becomes, via the Internet, a celebrity in his country. These images are the means by which the central contradiction of these terrorist vocations are resolved: the desire to give their life in order to exist in the eyes of others. Similarly to the French’s path, Ismail’s trajectory is less a misguided religious quest, than it is a personal one. From nothingness to nihilism, once again … reading these novels, it seems that we should seek here, and not in a sudden outbreak of faith in radical Islam, the primary reasons for the commitment to terrorism (…)
A young bearded man slaughtering Westerners is necessarily an Islamic fanatic. As if the combined powers of visual image and horror suspended our ability to understand complexity.
These three books restore this complexity, by showing religious stakes in becoming a terrorist. The desire to exist for the community. The need for a framework in which to accomplish oneself. The fear of inner emptiness. The easy availability of equipment suitable for an attack. The tendency of the Media to affix simplistic labels. The tendency of our brains to accept these labels as truths … Terrorism, as described in these works, seems to find part of its origins in the obsessions and failures of modernity. Daech appears as the offspring of an archaic Islamism as well as that of contemporary concerns, sometimes specific to democracies, and in any ca se certainly incompatible with religious fanaticism. A monster, in the genetic sense, which is also our own offspring. We better know it, if we want to have any hope to defeat it.
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Excerpts of the French original:
Depuis l’attentat de Tchen dans La Condition humaine, le terrorisme semble une constante de la littérature contemporaine – ce miroir que l’on promène le long d’un chemin bordé par l’histoire collective et l’histoire intime de l’auteur. Trois romans paraissent en cette rentrée, écrits dans langues diverses, mais traitant de la question selon des narrations convergentes.
Dans Le Français, Julien Suaudeau raconte la trajectoire d’un jeune, paumé, anonyme, d’Evreux vers le califat de Daech – et de la toute petite délinquances aux égorgements en série. De son côté, le Libanais Jabbour Douaihy décrit, dans Le Quartier américain, la radicalisation d’un gamin de Tripoli, jusqu’à ce qu’il en vienne à se ceindre d’explosifs, tandis que l’Américain Richard Powers, dans Orfeo, s’invente un compatriote compositeur d’avant-garde, et le transforme en bioterroriste amateur, à so compris défendant.
Faut-il s’étonner si, traitant du terrorisme, ces trois romans le considèrent sous l’angle de la formation? Depuis que l’Etat islamique s’est mis a recruter tous azimuts, les médias américains, les services secrets français, les rues tripolitaines semblent se poser la même question: Comment devient-on terroriste? Au terme de quelle histoire? Les trois écrivains n’y apportent pas tout à fait les mêmes réponses. Néanmoins, il est fascinant de repérer, dans les parcours et visages de leurs terroristes en devenir, des motifs et traits commun (…)
Personnage singulier, ce Français [dans Le Français] semble répondre à un profil recherché par les groupes terroristes. D’ailleurs, il partage tant de traits avec Ismaïl, ‘un des personnages principaux du Quartier américain, qu’ils confinent à la gémellité. Ismael est issu d’un foyer déchiré: son père, alcoolique, incapable, bat sa mère, Intissar. Ismael est donc élevé par sa grand-mère, puis à la mort de celle-ci, il retourne chez ses parents. Il abandonne ses études, boit, se fait tatouer un ange de la mort sur le dos, et semble parti pour une carrière de caïd. Mais voilà que, dans le quartier, s’installe un jeune cheikh venu du Pakistan qui commence tantôt à prêcher “que représenter l’âme humaine était péché parce que c’était se mesurer à la création divine”, tantôt à pourfendre “l’achat de vois des électeurs et à appeler tout bonnement à boycotter les élections, car voter était contraire aux préceptes d’un Etat islamique. Quelques jeunes l’écoutèrent, Ismaïl, lui, s’enflamma”. Et pou cause! Aussi perdu que le Français de Julien Suaudeau, cet Ismaïl est prêt à suivre le premier sherpa qui lui montrera le chemin (…)
Sa formation terminée, Ismaïl est chargé d’acomplir un attentat suicide. Et quand les images de sa préparation au jihad atteindront son quartier, il deviendra un héros à part entière, de la même façon que le personnage de Suaudeau sera devenu, via Internet, une célébrité dans son pays. Car ces images sont le moyen par lequel se résout la contradiction centrale de ces vocations terroristes: le désir de donner sa vie pour exister aux yeux des autres. Comme le parcours du Français, la trajectoire d’Ismaïl relève moins d’une quête religieuse dévoyée que d’une quête personnelle. Du néant au nihilism, là encore… a Lire ces romans, il semble qu’il faille cherche là, et non dans une subite épidémie de foi en l’islam radical, les raisons premières de l’engagement terroriste (…)
Un jeune barbe qui égorge des Occidentaux est forcément un fanatique islamiste. Comme si les pouvoirs conjugués de l’image et de l’horreur suspendaient notre capacité à appréhender la complexité.
Ces trois livres restituent cette complexité, en montrant les enjeux religieux du devenir terroriste. Désir d’exister pour la collectivité. Nécessité d’un cadre où s’accomplir. Peur du vide intérieur. Facilité à se procurer du matériel pouvant servir à un attentant. Propension des médias à apposer des étiquettes simplistes. Propension de nos cerveaux à les recevoir comme vérités… Le terrorisme décrit dans ces ouvrages semblent trouver une part de son ascendance dans les obsessions et les défaillances de la modernité. Daech apparaît ainsi autant comme le rejeton d’un islamisme archaïque que de préoccupations contemporaines, parfois propres aux démocraties, en tout cas peu compatibles avec le fanatisme religieux. Un monstre, en somme, au sens génétique du terme. Qui est aussi notre progéniture. Mieux vaut le savoir, pour espérer le vaincre.