Press
October 10, 2010
L’Humanité: an apprenticeship novel

L’Humanité: an apprenticeship novel

Terrorist no.20, by Muriel Steinmetz for L’Humanité

Terroriste numero 20, par Muriel Steinmetz pour l’Humanité (03.2010)

Il aurait pu être l’un des dix-neuf kamikazes de l’attentat du 11 septembre 200l contre les tours jumelles du World Trade Center. Lui, c’est le personnage central du livre le Terroriste n°20, d’Abdullah Thabit. Ce premier roman de l’auteur saoudien s’attache, par le biais d’une fiction très réaliste, à décrire par le menu l’enchaînement des circonstances qui ont bien failli entraîner un jeune homme à embrasser la cause du djihad. Abdullah Thabit traite là d’un sujet ultrasensible dans son propre pays, puisque le royaume de l’Arabie saoudite se revendique en son entier comme un espace sacré, gardien des lieux saints musulmans de La Mecque et de Médine.

Sujet d’autant plus brûlant que la monarchie du Golfe est devenue la deuxième cible d’al-Qaida et de Ben Laden, quand bien même la branche saoudienne de l’organisation terroriste s’est repliée au Yémen après les contre-attaques féroces des services sécurité saoudiens.

DANS LA PEAU D’UN JEUNE SAOUDIEN DE L’ASSIR
Abdulllah Thabit, journaliste à Al Watan quotidien progressiste qui critique de plus en plus les restrictions mises en oeuvre par la police religieuse, a donc décidé de se mettre dans la peau d’un jeune Saoudien de l’Assir, province proche du Yémen, située au sud-ouest du royaume. La population paysanne, d’un naturel fier, y suit la doctrine religieuse chaféite, plus tolérante que le wahhabisme qui, au sein du royaume, érige en norme absolue un islam pur et dur. Zahi Al Jibali, le héros du récit, après avoir passé son enfance à faire paître les moutons, entre à l’école coranique et se rapproche, adolescent, de groupes religieux tenants d’une ligne inflexible. Ces membres sont prêts à renverser les gouvernements «impies» et «oppresseurs», méfiants envers les États musulmans qui, selon eux, sont pires que l’Occident. Quant aux chiites, pour eux, ce ne sont pas de vrais croyants. Zahi Al-Jibali passe le plus clair de son temps au sein du groupe, participe aux camps organisés durant les vacances: cours de religion et de droit. Il lit Mohammad Qotb, l’idéologue des Frères musulmans. Il pratique aussi des activités sportives intenses. Le voilà progressivement soustrait à sa famille, manipulé, décérébré par ceux qui entendent imposer par persuasion leur doctrine extrémiste à de jeunes esprits malléables. «Nos lectures. dit
le héros, nous avaient rendus durs, insensibles, seul le centre et l’institut nous importaient, et nos compagnons. Jour après jour,je m’étais transformé, tout s’était refermé en moi, un voile épais s’était tendu devant mes yeux, il m’empêchait de voir.»

Asservi, fanatisé, prêt à mourir, il devient prédicateur et rejoint les membres de la police religieuse. La tournée dans la ville commence par une traque méticuleuse de ceux qui enfreignent la loi coranique: les maisons des habitants sont surveillées ainsi que les boutiques. Les miliciens forcent les femmes à porter le voile, confisquent les cassettes de musique, exigent que les hommes laissent pousser leur barbe…

RETOUR A LA VIE ET HYMNE AUX PLAISIRS DE L’EXISTENCE
Zahi Al-Jibali,devenu dévot impitoyable, attire la jalousie de certains de ses coreligionnaires, qui organisent contre lui une véritable cabale. Exclu des cellules clandestines, le jeune homme, qui croyait avoir trouvé là une seconde famille, renaît peu à peu à lui,même et le confesse en ces termes: « Le poussin ne peut voir l’oeuf dans lequel il se trouve, et pour le voir, il lui faut commencer par le percer avec son bec. Ainsi, il est impossible de comprendre une situation dans laquelle on est enfermé, il faut en sortir complètement. » Lui qui ne s’appartenait plus, empruntant son vocabulaire et sa manière de pensée aux membres du clan, recouvre enfin ses esprits, non sans souffrance. Il lit les philosophes et les poètes. Ce retour à la vie se double, à la fin, d’un hymne sensuel aux plaisirs de l’existence. Le Terroriste n°20, qui se présente comme un roman d’apprentissage du pire, se termine donc en son contraire absolu. Il a fallu que son héros tâtonnant s’approche au plus près de l’endoctrinement le plus sauvage pour qu’enfin il s’en nettoie. Encore faut-il souligner que c’est à la faveur d’un désaveu du groupe que le jeune homme peut s’en tirer. On laisse imaginer ce qui peut arriver à tous ceux qui n’ont pas la chance d’être rejetés de ce monde-là.