L’intellectuel libanais Jabbour Douaihy décrit le déclin d’une grande famille de la bourgeoisie chrétienne de Beyrouth. Avec humour et gravité.
Un roman tragi-comique dont l’action se déroule dans un pays qui panse ses plaies (le Liban des années 1990), au sein d’une demeure familiale décatie (stuc délabré, plancher qui grince), et qui dépeint une galerie de personnages attachants et contrastés : cela ne vous rappelle rien ? Oui, Rose Fountain Motel a bien des points communs avec L’Immeuble Yacoubian, le best-seller de l’Égyptien Alaa el- Aswani. Souhaitons au roman de Jabbour Douaihy autant de succès… Car cet intellectuel réputé (et ami du journaliste assassiné Samir Kassir) fait preuve de remarquables qualités d’écriture.
Ayn Wardeh, petit village des environs de Beyrouth, abrite la maison des Baz, grande famille libanaise décadente. Jabbour Douaihy décrit avec truculence et jubilation ces bourgeois déclassés. Nohad, l’aïeule, délire dans sa maison de retraite. Dernier occupant de la maison, le jeune Réda se terre dans sa chambre depuis que sa fiancée est morte dans un accident de voiture. Son frère, Jojo, est parti avec son épouse Margaret, une Autrichienne dépressive qui fume pour tromper son ennui (tout en rêvant de monter une maison d’hôtes à Ayn Wardeh).
Une sorte de mezze littéraire
L’image de l’intelligentsia libanaise en prend un coup… Quant à leurs serviteurs, le clan arabe des Mani’, ils sont restés là, et vivent, plutôt chichement, dans la cave. Tout ce petit monde joue aux échecs, mange du baba ghannouj et du fromage à l’huile d’olive, se dispute et se réconcilie…
Jusqu’à ce que débarque une sorte de Carmen arabe, la cousine des Mani’, belle femme à la « taille fine » et à la « robe couleur de vin ». Comme l’héroïne de Mérimée, la mystérieuse « cousine » est un peu sauvage, un peu brutale, et c’est elle, bien sûr, qui va bouleverser la vie à Ayn Wardeh…
Retenons que Rose Fountain Motel est un récit admirablement composé et joliment écrit, un roman sentimental et familial, burlesque et tragique ; une sorte de mezze littéraire. Ajoutons que même s’il les moque gentiment, Jabbour Douaihy ne caricature jamais ses personnages. Il leur manifeste plutôt une tendresse amusée, et communicative.
Rose Fountain Motel de Jabbour Douaihy, traduit de l’arabe (Liban) par Emmanuel Varlet Actes Sud, 317 p., 22,80 €.