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September 27, 2018
Le Monde reviews The Blue Pen and the “grace” of Samar Yazbek

Le Monde reviews The Blue Pen and the “grace” of Samar Yazbek

Published by Le Monde, September 27, 2018. By Eglal Errera.

Also featured in Le Monde des Livres.

[pullquote]Among all the works that come to us from Syria or from the diaspora, this novel has a unique timbre that mixes absolute realism and wonder.[/pullquote]

Venturing into what is most intimate, Yazbek returns to the novel, her original vocation (Cinnamon, Buchet-Chastel, 2013). Amongst all the works that come to us from Syria or from the diaspora, this novel has a unique timbre that mixes absolute realism to wonder. Rima, the narrator of La Marcheuse (The blue pen), is silent. She hears the sound of her voice only on very specific occasions: when she chants the Koran, reads aloud The Little Prince (Saint-Exupery, 1943), or when she screams or moans because she is hurt or afraid. She is also born with a strange mania: she can not help but walk: “My brain is in the lower part of my body and I can not stop this annoying waggle of my feet”. Ever since she could walk, Rima has been living with her wrist attached to a piece of furniture or to her mother’s arm. Hindered words and movement: Rima already knows the submission of Syrian woman resulting from an asphyxiating tradition. But nothing alters the lightness and freshness of this woman-child who, like the Little Prince, collects refuge-planets: books, writing and drawing.

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Nothing alters the lightness and freshness of this woman-child who, like the Little Prince, collects refuge-planets: books, writing and drawing.

 

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People say she’s crazy. She’s not crazy. Rather, madness explodes around her. This, she will experience during a journey that will take her to the heart of Ghouta’s hell, a rebel enclave near Damascus, besieged by the army of Assad between 2012 and April 2018. “Now, I understand better: here people are really dying, while over there we only catch the noise that is killing people”. This is what Rima says, or rather writes, at the end of her journey – which is also that of her short life – in the underground where, wrist attached to a pole, undermined by hunger and physical abuse, she found a bundle of paper and a blue pen. Free of any moral condemnation or prejudice for either side, Rima tells what she saw and heard near the tortured bodies of humiliated women and men, until her agony, which she describes with a confusing sobriety.

This text written in blue ink is, as an Arabic expression goes, of a complex simplicity. Rima allows herself the digressions that her memory and her imagination impose on her, incessant repetitions that express her astonishment at the incredible violence she discovers. She tries to understand, searches, gropes, until we  – the readers who are stuffed with images and words – finally see, and experience the same fright as her own, the same anger as that of Samar Yazbek. The Blue Pen is above all the work of an artist in search of language. A book that seeks to confront vulnerability to extreme violence, and succeeds.

(…)

What poetry can do, any other writing can do, when it is carried by a high moral – and consequently political – conscience,  by a vital necessity, a creative obstinacy, and by this mysterious “thing” with which Samar Yazbek is kneaded, and which is called grace.

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Aujourd’hui, Samar Yazbek va plus loin encore. S’aventurant jusqu’au plus intime, elle renoue avec le roman, sa vocation première (Un parfum de cannelle, Buchet-Chastel, 2013). Parmi l’ensemble des ouvrages qui nous parviennent de Syrie ou de la diaspora, elle fait entendre un timbre inédit, qui mêle l’absolu réalisme et le merveilleux. Rima, la narratrice de La Marcheuse, est muette. Elle n’entend le son de sa voix qu’en de très précises occasions : quand elle cantille le Coran, lit à voix haute Le Petit Prince, de Saint-Exupéry (1943), ou lorsqu’elle crie ou gémit parce qu’elle a mal ou peur. Elle est aussi affublée d’une étrange manie : elle ne peut s’empêcher de marcher : « Mon cerveau se trouve dans la partie inférieure de mon corps et je ne peux interrompre cette bougeotte agaçante de mes pieds. » Alors, depuis sa petite enfance, Rima vit, le poignet attaché à un meuble ou au bras de sa mère. Parole et mouvements entravés, elle connaît déjà l’assujettissement de la femme syrienne résultant d’une tradition asphyxiante. Mais rien ne réussit à altérer la légèreté ni la fraîcheur de cette femme-enfant qui, à l’instar du Petit Prince justement, accumule les planètes refuges: les livres, l’écriture et le dessin.

On la dit folle, elle ne l’est pas. C’est autour d’elle qu’explose la folie. Elle va en prendre la mesure au cours d’un voyage qui la mènera au coeur de l’enfer de la Ghouta, près de Damas, enclave rebelle assiégée par l’armée d’Assad entre 2012 et avril 2018. « A présent, je comprends mieux : ici, les gens meurent vraiment, alors que là-bas on capte uniquement le bruit qui donne la mort aux gens. » C’est comme ça que parle Rima, ou plutôt qu’elle écrit, au terme de son voyage – qui est aussi celui de sa courte vie – dans le souterrain où, le poignet attaché à un poteau, minée par la faim et les sévices physiques, elle a trouvé une liasse de papier et un stylo bleu. Sans condamnation morale ni parti pris pour l’un ou l’autre camp, elle raconte ce qu’elle a vu et entendu au plus près des corps suppliciés, des femmes et des hommes humiliés. Jusqu’à son agonie qu’elle décrit avec une confondante sobriété.

Etonnement face à la violence

Ce texte à l’encre bleue est, comme le dit une expression arabe, d’une complexe simplicité. Rima s’autorise les digressions que lui imposent sa mémoire et son imaginaire, d’incessantes répétitions qui disent son étonnement face à la violence inouïe qu’elle découvre. Elle essaye de comprendre, cherche, tâtonne et fait naître en nous – nous, les lecteurs qui sommes gavés d’images et de mots – un regard neuf, le même effarement que le sien, la même colère que celle de Samar Yazbek. La Marcheuse est avant tout l’oeuvre d’une artiste à la recherche d’un langage. Un livre qui cherche à rendre la confrontation entre la vulnérabilité et l’extrême violence. Et qui y parvient.

(…)

Ce que peut la poésie, toute autre écriture le peut aussi quand elle est portée par une haute conscience morale – et par conséquent politique –, par une nécessité vitale, une obstination créatrice, et par cette « chose » mystérieuse dont Samar Yazbek est pétrie et qu’on appelle la grâce.